Abstract
Un survol rapide de l’évolution des études syntaxiques et lexico-sémantiques berbères montre qu’elles n’ont pas avancé dans l’analyse de plusieurs éléments centraux dont ne sont traitées que les aspects qui apparaissent du point de vue adopté par la tradition berbérisante. Chaque fois que celle-ci a buté sur ces éléments, elle n’a pas pu sortir de ce cadre et s’interroger sur l’angle de vue adopté et ses fondements. Les berbérisants qui s’y sont aventurés n’en ont ainsi effleuré que la surface se contentant généralement d’interrogations, de présomptions, d’interprétations… (cf. plus bas). La tradition berbérisante a-t-elle fait fausse route? Comment ce point de vue a-t-il remodelé ces éléments et jusqu’à quand va-t-on entretenir, couver… le blocage auquel il a conduit? De quel problème s’agit-il au juste et comment replacer ces études sur la bonne voie?
Notes
- 1.
La conception pré-bassetienne est le cadre dans lequel le berbère a été décrit avant les travaux d’André Basset.
- 2.
Cela est dû, outre le progrès réalisé dans le domaine sémitique, aux relations historiques/géographiques que ce groupe a avec le berbère dont l’exploration revenait au début aux sémitisants/arabisants.
- 3.
« Ce que nous appelons impératif intensif et aoriste intensif était réuni jusqu’ici sous le nom de forme d’habitude, considérée comme une forme dérivée, au même titre que les autres formes dérivées à sifflante, dentale ou nasale, par exemple » (Basset 1952: 14).
- 4.
« En fait, à quelque moment de l’histoire de l’akkadien qu’on le saisisse, le statif nous montre un stade dans un processus de verbalisation. Lorsqu’il a pour base un simple nom ou un adjectif non verbal, il est encore une sorte de phrase nominale; mais un thème verbo-nominal de valeur généralement passive » (Cohen 1984: 109).
- 5.
On a pris le premier emploi des verbes dont le premier déterminant est soit un patient non agent, soit un agent sujet, pour la valeur passive du verbe simple (cf. B.1, plus bas).
- 6.
« Les descriptions des parlers berbères consacrent généralement un chapitre au groupe des verbes de qualité appelés aussi verbes d’état » (Galand 1955: 245). Dans son article « Continuité et renouvellement du système verbal », Galand a de même subdivisé le point IV.A., l’opposition accompli- inaccompli, en 4.1.verbes de procès et 4.2.verbes d’état (cf. Galand 1977: 293–297).
- 7.
« De nombreux verbes pourtant dépourvus de ces caractères morphologiques se comportent dans tous les contextes, par leur valeur et leur emploi, comme des verbes décrits plus haut [les verbes d’état]. Ainsi ǝrġ « être chaud», nu « être cuit », etc. » (Galand 1955: 246).
- 8.
Le nom est mis entre parenthèses parce qu’il ne reste que des résidus de s-N dans quelques variétés berbères actuelles dont le tachelhit. Les changements syntaxiques que le nom a subis lors de la formation du berbère moderne ont réduit considérablement ses emplois s-N (cf. plus bas et Allati 2018, 2020).
- 9.
« Les dérivés à sifflante généralement factitifs ou causatifs» (Galand 1988: 234).
- 10.
« s- se combine avec (…) des verbes simples intransitifs de la classe des verbes d’état ou des déponents qu’il rend transitifs » (Chaker 1995: 73).
- 11.
Par exemple, enz (et var.)« être vendu »et zzenz(<zz- (<-s)- enz) « vendre », cf. plus bas).
- 12.
Les études d’obédience générativiste se basent en général sur la vision de la tradition berbérisante dont notamment les travaux de Basset dont elles ne diffèrent au fond que par les présentations formelles.
- 13.
« Basset mettait là le doigt sur une série de particularités marquantes de la syntaxe du berbère » (Chaker 1995: 63)
- 14.
La marque de la troisième personne du sing. est facultative dans le paradigme personnel conservé par les verbes d’état au prétérit dans le parler des Ayt-Ziyan. (cf. Galand 1990: 127). Celle de la troisième personne masc. sing. est absente dans les conjugaisons suffixales conservées par les verbes d’état au prétérit dans plusieurs variétés (kabyle (Grande Kabylie), touareg, etc.), absence qui est considérée comme un trait archaïque : « À l’accompli, la troisième personne du singulier conserve une forme archaïque » (Galand 1990: 131).
- 15.
Pour les berbérisants, VS qui caractérise cet emploi est la forme fondamentale et la plus ancienne de l’ordre des mots en berbère: « D’après l’état du nom (…), on est en droit de penser que, fondamentalement, en berbère, le sujet du verbe est après le verbe à l’état d’annexion et que, en base, ce que l’on considère comme un sujet avant verbe, à l’état libre, n’est qu’une anticipation du sujet » (Basset 1959: 94 ; cf. également Galand 1964).
- 16.
« Le nom berbère est soumis à trois catégories de variations : l’une intéresse le genre, la seconde le nombre et la troisième ce que nous appelons l’état » (Basset 1952: 23).
- 17.
« L’énonce verbal berbère rappelle beaucoup les expressions courantes en français populaire du type : « l’homme, il est venu/il est venu, l’homme ». » (Chaker 1984: 142). Aussi les berbérisants traduisent-ils ordinairement, par exemple, i-krez u-rgaz (il-labourer (Pr)-u-homme) par « il a labouré, l’homme, l’homme a labouré » (cf. Galand 1964: 35; Allati 2020b).
- 18.
Pour éviter le mot reprise, Galand a utilisé plutôt le complément explicatif « qui, possédant par ailleurs tous les caractères du complément déterminatif dont il n’est qu’une variété, ne se confond pas avec le syntagme de reprise » (Galand 1969: 94), mais cela ne change rien à l’analyse.
- 19.
« Dans ces langues [avar, tongien, chinois, etc.], en gros, l’ensemble prédicat + premier participant suit exactement le même schéma que les énoncés suivants du jeune locuteur francophone; il emploie la même syntaxe pour deux situations préférentiellement opposées: a) /mãže/ bébé ~ b) /mãže/ bonbon; ajoutons-y c) mãže/ poulet. L’énoncé a) est incompatible avec un nouveau participant agent (…) En b), l’adjonction de l’auteur (…) ne change rien aux rapports existants, mais c) peut se résoudre en deux directions opposées, suivant le sémantisme des expressions: /maže/ pouletbébé implique poulet victime, mais /maže/ pouletbonbon vaut pour poulet auteur » (Tchekhoff 1978: 43–44).
- 20.
« Les termes d’aoriste et prétérit sont des termes arbitraires. Nous n’arrivons pas encore à déterminer à quelle nuance de pensée répond leur opposition (…) Faut-il y voir une opposition déterminé/indéterminé, momentané/duratif, parfait/ imparfait, etc. ou encore, selon les termes généralement adoptés par les arabisants, accompli/inaccompli? Peut-être, mais, pour notre part, nous sommes tentés de chercher dans le sens de l’opposition d’un précis et d’un imprécis » (Basset 1952: 13–14; cf. Allati 2018).
- 21.
« Lorsque le verbe exprime un état, l’opposition entre accompli et inaccompli prend un caractère particulier (…) Les accomplis des verbes dits de « qualité » ont bien la valeur stative et peuvent même concurrencer victorieusement les constructions nominales » (Galand 1977: 296–297; cf. également Galand 1980, 1990).
- 22.
« En raison du fait que dans chaque verbe il (le statif) s’opposait à une forme nommant le sémantème verbal en tant que procès, il fut interprété comme exprimant l’état résultant, l’aboutissement de ce procès » (Cohen 1989: 61).
- 23.
« Cette théorie se heurte à la réalité non linguistique, dans laquelle un objet ‟blanc” n’est pas nécessairement un objet ‟blanchi”. De plus, on ne comprenait pas pourquoi les verbes de qualité présentent une morphologie insolite. Il fallait donc corriger l’analyse… » (Galand 1990: 124).
- 24.
msnsn gldt (< Massinissa - roi - lui) « Massinissa, le roi ; le roi Massinissa » (cf. Galand 1990: 132 et plus haut). Cette forme est attestée dans une des inscriptions libyques de Thugga/Dougga dont seule une d’entre elles est datée (138 av. J.-C., cf. Chabot, Ibid.).
- 25.
šarr-â-ku « roi-je, je suis roi », šarr-â-tu « roi- tu (masc.), tu es roi», akkadien (cf. Cohen 1989: 175).
- 26.
zeggaɣ = prétérit ; (a)zeggaɣ = nom/adjectif.
- 27.
« La notion de résultatif garde son rôle central, mais le cheminement va en sens inverse. Au lieu du procès à l’état, on part d’une tournure à valeur stative qui n’était pas un verbe, mais qui, en raison même de l’importance accordée par la langue à la valeur résultative, a pu être interprétée comme un résultatif, donc rapportée à un procès : dès lors, elle devenait un accompli » (Galand 1990: 124).
- 28.
Galand (1980) y a distingué l’intégration des formes de celle des valeurs.
- 29.
Cette intégration du statif dans le système verbal n’est que l’évolution du statif au verbe de procès qui y est escamotée.
- 30.
« La comparaison des parlers entre eux et, même, parfois, les données fournies par un même parler révèlent une tendance à effacer, dans le verbe de qualité, les traits formels qui le séparent des autres verbes. Cette tendance affecte les deux constituants de la forme verbale : le radical et les indices de personne » (Galand 1955: 354).
- 31.
Ce qui rend vraisemblable ou plausible cette intégration en sémitique est que l’évolution du statif au procès y est achevée, ce qui n’est pas encore le cas en berbère (cf. plus bas).
- 32.
- 33.
Les verbes de procès (B.2 et C) ont conservé la détermination lexicale caractérisant leur emploi statif (B.2) ou ils l’ont déjà perdu (C, cf. Allati 2020b et plus bas). Celle conservation est due essentiellement au fait que la place du premier déterminant lexical du prédicat, elle, n’a pas changé.
- 34.
« There is considerable variety in verbal structures of the different Afrasian languages, but the major part of them is characterized by the distinction, at first, between the categories of ‟action” and ‟state” » (Diakonoff 1988: 85).
- 35.
En plus des éléments syntaxiques et lexico-sémantiques, ils conservent des traits morphologiques que les autres verbes statifs (A.2 et B.1) ont perdus.
- 36.
- 37.
« Des langues aussi diverses que l’araméen moderne ou l’égyptien ancien présentent des systèmes verbaux fondés entièrement sur des formations verbo-nominales » (D. Cohen 1989: 107).
- 38.
« In Semitic (…) there is raison to believe that the original verbal construction was ergative » (Diakonoff 1965: 58).
- 39.
« All of this almost certainly means that the Afrasian languages originally had an ergative construction of sentence, which is still preserved in some Cushitic and Chadic languages » (Diakonoff 1988: 101, cf. également, Allati, op.cit.).
- 40.
Ils constituent une partie importante du lexique de base (imi « bouche », fus « main », (a)ɣil « bras, avant-bras… ») dont notamment un nombre important des V1 (A.2 et B.1, principalement) ; ex. nez « être vendu », irid « être lavé », res/ers « être posé, se poser » …
- 41.
« In the Tchad languages the biconsonantal roots seem to predominate. In spite of the internal vocalic inflection (which, it must be conceded, is much less developed here than in the other Semitico- Hamitic languages), one can, as a rule, establish a root-vowel both in the nominal and the verbal roots […] Still, it can be supposed that the structure of the Tchad verbal root, biconsonantal with a root- vowel, is presumably an ancient feature » (Diakonoff 1965: 38).
- 42.
Ceux-ci expriment également le statif.
- 43.
Ex. manza-t ? (<où-lui) « où est-il ? », tachelhit ; anda-k (<où-tu) « où es-tu ? », kabyle ; ḏ-iri-ṯ (<c’est-mauvais-lui)« il est mauvais »), kabyle (cf. Dallet 1982; Galand 1990: 133) ; aba-t (< il n’y a pas-lui) « il n’y a plus eu de lui (il n’a plus existé ; il est mort) » (Foucauld 1951–1952: 13).
- 44.
zeggaɣ-iyi « rouge-moi », « je suis rouge », zeggaɣ-it « rouge-elle », « elle est rouge », zeggaɣ-ihn « rouge-eux », « ils sont rouges », Ayt-Ziyan (cf. Galand 1990). Il s’agit, pour Galand, d’une conjugaison nominale (Ibid.: 128).
- 45.
Aux inscriptions libyques, s’ajoutent les sources arabes médiévales (mots, phrases, toponymes… (cf. El Bekri 1965) et les documents d’origine almohade, ibadite…) et d’autres remontant jusqu’au XVIe siècle.
- 46.
nɣed/nɣeḏ est au stade A dans le tarifit « être réduit en poudre » (d’où senɣeḏ « réduire en poudre ») et au stade B dans plusieurs variétés dont le kabyle « être réduit en poudre, réduire en poudre » (cf. Dallet 1982). ɣez (et var.) est au stade A à Ghadamès « être creux, profond » (cf. Lanfry 1973), au stade B « être creusé, creuser » dans la plupart des variétés dont le touareg et le tarifit, et au stade C « creuser » dans quelques variétés dont le parler des Beni Snous, le kabyle (cf. Destaing 1907; Dallet 1982), etc.
- 47.
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Allati, A. (2024). Comment la tradition berbérisante a intégré la partie ergative de la syntaxe berbère actuelle dans celle qui est accusative. In: Korangy, A., Bensoukas, K. (eds) The Handbook of Berber Linguistics. Springer Handbooks in Languages and Linguistics. Springer, Singapore. https://doi.org/10.1007/978-981-99-5690-6_18
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